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Témoignages
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Témoignage de Joëlle, épouse d'un joueur de
Casino
août 2006
Il
est deux heures du matin. Je me réveille à moitié
et me retourne dans mon lit. Je réalise que la place à
côté de moi est vide et, d'un seul coup, je suis complètement
réveillée. Mon mari n'est pas rentré. Je ne
sais pas où il est. Il n'a pas prévenu qu'il rentrerait
tard. C'est toujours la même histoire, ça commence
parfois avec une bière ou deux après le boulot ou
quelques apéros avec le potes. Parfois on ne sait même
pas vraiment comment ça commence, mais à un moment,
il décide d'aller 's'amuser'.
Boîtes,
cabarets, casino, quelle que soit sa destination, l'alcool et l'argent
coulent à flots. L'espace de quelques heures, il dit s'évader
(de quoi? Elle est donc si terrible la vie qu'on mène?),
vie nocturne, monopoly grandeur nature, l'argent n'a plus de valeur,
il sert juste
à acheter de l'oubli et une ivresse éphémère.
J'essaie
son portable: éteint. Il ne veut surtout pas être joignable.
Une fois qu'il est parti, il ne se laisse aucune chance d'être
distrait ou de se laisser convaincre de rentrer. C'est comme s'il
se disait que maintenant qu'il est parti, il a échoué
de toute façon, il a trahi sa promesse de ne pas recommencer,
alors, tant qu'à faire, autant ne pas s'arrêter avant
d'avoir épuisé tout l'argent possible, qu'il soit
à lui, emprunté ou dépensé à
crédit. D'ailleurs, il rentre de plus en plus tard de ses
sorties à mesure que les mois passent. Leur fréquence
augmente aussi. C'est comme s'il s'était engagé dans
une spirale d'autodestruction qui accélère constamment.
C'est
terriblement angoissant de le voir se détruire, de voir sombrer
par la même occasion notre relation et de me sentir complètement
impuissante. Je pense à tout ça en me tournant et
retournant dans les draps. Je n'arrive pas à me rendormir,
les minutes passent au ralenti, tour à tour, j'angoisse,
je m'énerve, je m'inquiète pour lui, je m'apitoie
sur mon sort.
Trois
heures, toujours personne. En fait, je sais qu'il ne rentrera pas
avant le petit matin, et encore, parfois il ne rentre pas du tout,
mais je ne dors pas mieux pour autant, au contraire. Je suis en
colère. Je pense à moi, plutôt qu'à lui
et je me demande pourquoi il me fait subir tout ça alors
qu'il dit m'aimer? Jamais je ne me permettrais de lui faire vivre
une nuit pareille. C'est donc que je ne compte pas pour lui ?
Puis
le cours de mes pensées prend un chemin radicalement différent:
et si rien de tout ce que je soupçonne n'était vrai,
et s'il lui était arrivé quelque chose? Je m'inquiète,
j'envisage mille scénarios. Mais je reviens toujours sur
l'image qui me paraît la plus probable, celle où je
le vois en train de flamber de l'argent qu'il n'a pas, beaucoup
trop d'argent. Je me lance dans de savants calculs pour deviner
à combien pourra bien se monter le trou dans le budget ce
mois-ci. J'envisage une multitude de stratagèmes pour tenir
le ménage à flot malgré tout l'argent qui,
je le sens, est entrain de s'évaporer en ce moment même.
Je réfléchis aux possibilités, puis à
l'absence de possibilité, puis à nouveau aux possibilités,
de me mettre à l'abri de tout ça. Je me dis que ça
ne peut pas continuer comme ça, qu'il faut trouver le moyen
pour que ça s'arrête, puis je me dis que ça
ne s'arrêtera pas, que je vais le quitter, puis je me dis
que ça va s'arranger, qu'on va s'en sortir, puis je recommence
à passer en revue tous ces cas de figure dans un autre ordre.
Encore et encore.
C'est
fou ce que c'est long, une nuit.
Il
est quatre heures, il faut absolument que je dorme, je travaille
demain, je vais être une loque. Lui aussi d'ailleurs, il doit
travailler demain, mais à quoi il pense? Il devrait être
couché, comment va-t-il faire? Sauf que, vu l'heure où
il va rentrer, je suis sûre qu'il n'ira pas travailler. Ce
ne serait pas la première fois. Il va finir par se faire
virer, s'il continue. Et alors, qu'allons nous devenir? J'en conclus
donc que ça ne peut pas continuer comme ça, qu'il
faut que ça s'arrête
et je reprends le fil de
mes réflexions en boucle, je tourne en rond.
Cinq
heures trente, je n'en peux plus de me faire croire que je vais
arriver à dormir. Tant pis, je me lève. Je ne sais
pas comment je vais arriver au bout de ma journée. Je bois
un café, un deuxième, puis me décide à
aller travailler. Je me sens très mal, j'ai une boule énorme
sur l'estomac. Où est-il? Que fait-il?
Je
m'apprête à partir et le voilà qui rentre.
Et
va se coucher sans même un mot. Je le suis, je l'accable de
questions et de reproches. Il me répond sur un ton dur et
hostile de le laisser tranquille, que c'est ses affaires et qu'il
veut dormir. Mais qui est donc cet étranger, cet égoïste
qui se couche dans mon lit? Où est passé l'homme que
j'ai épousé et dont je suis amoureuse? Toute mon inquiétude
et toute ma fatigue se transforment d'un coup en une immense colère.
Je le hais, il me fait trop de mal, je ne veux plus jamais entendre
parler de lui. Je veux partir loin de tout ça et tout oublier.
Mais en même temps, je voudrais rester, le retrouver et que
tout redevienne comme avant.
Je voudrais l'obliger à me parler, à m'expliquer,
à me rassurer.
Je
suis désespérée et lui, il dort comme un bébé.
Je pars au travail, complètement frustrée.
Dans
la journée, je reçois un SMS de sa part: il s'excuse,
il est désolé de s'être mal comporté.
Il me promet qu'il ne recommencera plus jamais, juré.
Comme à chaque fois.
Et
comme à chaque fois, je n'ai qu'une envie, c'est d'y croire,
à nouveau.
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Témoignage
de Flora, épouse d'un joueur en rétablissement
septembre 2006
C'était en 1998, nous étions mariés depuis
20 ans.
Au
début de notre mariage, nous avions convenu que je gèrerais
les comptes du ménage. A la suite d'un accident, mon mari
a dû cesser de travailler.
Il a pris en charge la maison et les enfants et j'ai commencé
à travailler. J'ai laissé peu à peu la gestion
de l'argent du ménage à mon mari.
Je travaillais depuis huit ans en tant que remplaçante en
milieu hospitalier et mes jours et horaires de travail n'étaient
pas fixes.
Lorsque je restais une ou deux semaines sans travailler, mon époux
s'impatientait de savoir quand j'allais y retourner. Je trouvais
que son caractère avait changé peu après que
j'aie commencé à travailler : il devenait impatient
avec les enfants, était souvent de mauvaise humeur, s'énervait
pour des broutilles. Lorsque j'étais à la maison,
il se précipitait à la boite à lettre dès
que le facteur passait (surtout en fin de mois, au moment des factures),
sautait sur le téléphone dès qu'il sonnait
( toujours des erreurs de numéro !). Il lui est même
arrivé de mettre le courrier en attente à la poste
quand il partait seul avec les enfants en vacances.
Quand
j'ai reçu les premiers coups de téléphone d'agences
immobilières me disant qu'ils avaient " entendu dire
" que notre maison était à vendre, j'ai vraiment
commencé à m'inquiéter. Je sentais que quelque
chose " clochait " mais je n'arrivais pas à savoir
quoi
Et mon mari avait toujours une réponse plausible à
mes questions
J'en
était venue à penser qu'il avait une maîtresse
Un
jour, je l'ai pris en flagrant délit de mensonge et là
il m'a avoué qu'il jouait au casino. Puis tout le reste :
qu'il avait vidé tous les livrets d'épargne, y compris
ceux des enfants, qu'il avait contracté des prêts auprès
de plusieurs banques en faisant de fausses fiches de paie et en
imitant ma signature, que nous avions des dettes
Quand
j'ai vu l'ampleur du gouffre financier, j'ai été atterrée.
J'ai dit aux enfants que leur père avait fait de mauvais
placements. J'avais trop honte pour leur dire la vérité.
J'ai
travaillé pendant trois longues années sans prendre
de vacances pour éponger les dettes et tout le monde s'est
serré la ceinture.
Quand
enfin les comptes n'étaient plus dans le rouge, je soufflai
un peu. Mon mari me jurait qu'il ne jouait plus au casino : "
juste un jeu de grattage de temps en temps ! " Je le croyais.
Je pensais que c'était anodin. Je ne savais pas que l'on
pouvait aussi devenir " accro " à ces jeux-là
!
Comme
j'avais repris en main la gestion des comptes du ménage et
que chaque centime dépensé était noté,
mon mari a, petit à petit, commencé à se plaindre
de n'avoir pas assez d'argent pour faire les courses, à me
reprocher de lui donner trop peu d'argent
Parfois, il avait
" perdu le ticket " qui justifiait ses dépenses
L'argent était devenu un sujet de dispute fréquent.
Il a commencé à faire des petits boulots " pour
avoir de l'argent de poche ".
Un
jour, il y a 3 ans, nous sommes allés au centre commercial,
il a prétexté d'aller aux toilettes, s'est caché
derrière un étalage (il n'avait pas remarqué
que derrière lui il y avait un miroir de surveillance) et,
pensant que je ne le voyais pas, s'est mis à fouiller fébrilement
dans son porte-monnaie : on aurait dit un drogué en manque
!
J'ai
pris peur et c'est là que je me suis rendue compte qu'il
était malade et qu'il avait besoin d'aide.
Après
une âpre discussion, il a accepté de consulter un médecin
et de commencer une thérapie. Ce qui ne l'a pas empêché,
au bout de quelques mois,
de recommencer à jouer : jeux de grattage et casino. En plus,
il s'est mis à boire de plus en plus...
Il
y a 1 an, j'ai craqué au boulot et je me suis confiée
à une collègue. Elle m'a aiguillée sur "
Rien Ne Va Plus " où j'ai trouvé aide et écoute.
J'ai pu partager mon expérience avec d'autres qui vivaient
aussi avec une personne dépendante au jeu. Enfin je n'était
plus seule !
Je
suis allée voir la famille de mon mari et je leur ai tout
raconté. J'ai appris qu' il leur demandait régulièrement
de l'argent sous divers prétextes.
J'ai
mis mon mari au pied du mur : le jeu, tout seul, ou accepter de
se faire soigner, avec le soutien de la famille ; il a choisi le
soin et notre soutien.
Il a accepté d'aller aux rencontres des " Joueurs Anonymes
" et a arrêté de boire ; il a rechuté une
fois mais je savais que ça pouvait arriver : je lui ai clairement
signifié qu'il n'y aurait aucune tolérance de ma part
par rapport au jeu et que je le quitterai s'il recommençait
à jouer, malgré l'amour que j'éprouve pour
lui
Je
continue, pour ma part à aller aux réunions de soutien
aux proches J'ai cessé de payer ses dettes, les enfants sont
au courrant des problèmes de jeu de leur père et c'est
devenu un sujet de conversation comme un autre, ce n'est plus un
secret.
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Témoignage
de Anne, conjointe d'un joueur de Casino
"
Nous nous connaissons depuis huit ans. Dès les premières
semaines il m'a avoué qu'il jouait. Soucieuse de comprendre
un monde que je ne connaissais pas, je l'ai accompagné un
soir au casino. Je voulais décrypter ce langage des machines
qui attire les joueurs à elles.
Cette
expérience fut terrible et je revois encore cette scène
comme si elle s'était déroulée hier.
Mon
ami cherchait du regard un endroit stratégique susceptible
de lui rapporter gros. Puis d'un pas guilleret et enthousiaste il
fit plusieurs fois le tour de la salle, repérant les machines
qui affichaient de gros montants. Il finit pas s'installer devant
l'une d'elle, qu'un joueur exaspéré venait d'abandonner.
Satisfait de son choix il me lança un regard complice et
malicieux, me faisant comprendre que celle-ci n'avait pas "
tout donné " et qu'elle allait payer.
Emprunt
d'une gaieté débordante, il incéra les premières
pièces d'un petit budget fixé pour la soirée.
Malheureusement, la situation tourna vite au drame. Le comportement
de mon ami se transformait au fur et à mesure que la somme
diminuait. Irrité par le peu de résultat, il tapait
de plus en plus fort sur les touches. Il soupirait, jurait.
Ses
yeux hypnotisés par l'écran n'avaient plus du tout
la même expression. Son front brillait, il allumait cigarette
sur cigarette.
La
partie terminée, il s'est tourné vers moi le regard
suppliant
" encore
.encore " ! Il voulait jouer encore, persuadé
de pouvoir " se refaire " !
Je
tentai de le dissuader. Mais rien à faire, il ne voulait
pas partir sur un tel échec.
Je
finis par céder et retirai quelques billets pour prolonger
la soirée.
Ce
fut pire. Il avait changé de machine et le résultat
fut encore plus désastreux. Rivé sur son siège,
le regard dans le vide, le teint blême, il ne voulait pas
partir. Je tentais maintes fois de le persuader de quitter cet endroit,
mais il ne m'entendait plus. Il était pris de panique par
la perte de tout cet argent et ce minable résultat, il voulait
à tout prix refaire une tentative.
Je
me suis fâchée. Voyant que les mots n'y faisait rien,
j'ai tiré sur la manche de son blouson pour qu'il se lève.
Face à son refus, j'ai hurlé, attirant l'attention
des gens.
Enfin
arrivé à la voiture, harcelée de reproches,
je me suis installée au volant.. Lui, à côté
de moi, ressemblait à un petit pantin. Les yeux hagards,
submergés d'une effroyable tristesse, comme si la terre s'était
écroulée sous ses pied
. "
Novembre 2004
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